La pornographie, bagne sexuel industriel | Note: Une horreur qui fait froid dans le dos

GANG BANG
La pornographie,
bagne sexuel industriel




Les  témoignages  non  officiels des coulisses de l'industrie du sexe sont rares.
Un  film,  présenté  par une association au parlement suédois dans le cadre d'une
réflexion   sur  la  liberté  d'expression  et  la  pornographie,  rassemble  des
confidences  édifiantes  d'actrices,  de  policiers,  de  producteurs.  "Shocking
Truth" est son nom. Attention : visionnage violent. Et vraie colère. **  

Dépassée  Annabel  Chong,  qui,  en  1995,  passait  sous  251 partenaires en dix
heures…  Angela  Houston,  30  ans,  en  1999, s’est fait 622 hommes en 7 heures,
soit  un  homme  toutes  les  40  secondes.  Candy  Appels  a  pour  sa  part été
interrompue  au  742ème par la police de Los Angeles. Quant à Sabrina Johnson, 23
ans,  elle  s’entraîne  pour  battre  le  record  du gang bang, 2000 hommes en 24
heures prévus à la Saint-Sylvestre.  

Aucune  étude  ne  dresse  encore  le portrait psychologique de ces candidates au
viol  collectif.  Mais  Annabel  Chong  revivait  en  direct,  dans  son film, le
traumatisme  d’un  viol  véritable.  Et  Angela, Sabrina, Candy, qui sont-elles ?
Qui  sont  ces femmes qui se disent heureuses après s’être fait passer dessus par
une  armée  ?  Qui  sont  ces  Candy,  Cookie et autre Molly ? Qui sont ces êtres
humains    qui  se  cachent  sous  des  noms  de  chiennes  ou  de  friandises  ?
Aujourd’hui,  les  témoignages  sortent.  Nous avons visionné « Shocking Truth »,
film    suédois    réalisé   à  partir  d’interviews  et  de  montages  de  films
pornographiques  diffusés  dans  le  nord  de  l’Europe, et présenté au parlement
suédois  en  2000  dans le cadre d’une réflexion sur la liberté d’expression dans
la pornographie. 

Aussi  dérangeant  que  cela  puisse être, derrière chaque vagin, chaque bouche à
pipe,  chaque  anus, derrière chaque trou rempli de foutre, de doigts, de poings,
de centaines de bites d’affilée, se cache un être humain.  

Un  être  humain,  un corps qui, souvent, saigne entre les scènes. Qui s’évanouit
pendant  les  plans  coupés.  Qu’on redresse tant bien que mal pour l’éjac finale
dans  la  gueule.  Nous le savons aujourd’hui. Beaucoup de sang coule de ces culs
anonymes,  aux  noms de gâteaux. Certes, ne pas penser qu’un être humain, doté du
même  corps  fragile  que  votre  soeur  ou votre mère, soit pénétré à la chaîne,
saigne,  s’effondre,  soit  marqué  à vie, permet de mieux apprécier le spectacle
pornographique, d’en jouir plus tranquillement. Mais ce n’est pas la réalité. 

Ne  pas  y  penser,  c’était  mon  cas avant. Avant de m’intéresser à l’envers du
décor.  Même  si  l’univers  formaté  et prévisible des films pornos m’a toujours
paru  ennuyeux,  je  ne  dédaignais  pas  une  vidéo  de temps en temps, quelques
scènes  un  peu  crades  pouvaient même me mettre en train, par contagion joyeuse
de  l’effet  salope. Mais c’était avant. Une fois qu’on sait, il faut bien avouer
que ça gâche le plaisir. 




Qui sont-elles ?

J’ai  commencé  cette  enquête  sans  a priori. Entre filles, c’est vrai qu’on se
demande.  Après  tout,  celles  qui  se  font  mettre par cinquante mecs dans les
pornos,  d’accord,  elles  aiment  sûrement pas ça, mais n’ont-elles pas choisi ?
Elles  sont  payées  pour ça. Même si elles ont besoin d’argent, elles pourraient
quand  même  faire autre chose, non ? Travailler en usine, vendeuse, autre chose.

Mais  est-ce  vrai  ? Avant les grandes luttes sociales, les filles qui bossaient
dans  les  usines  chimiques  pourries et maladives se mutilaient en connaissance
de  cause,  tout  en  rêvant  de  passer  à travers. Ces filles auraient-elles pu
choisir  autre  chose ? En vérité, qui sont vraiment ces hommes et ces femmes que
le  spectateur  consomme à longueur de vidéo ? Tous des enculeurs fougueux et des
salopes qui aiment ça ? Ou encore des fainéantes qui refusent de bosser ?

Réponse  d’un  producteur  de porno suédois* : « Ce sont très souvent d’anciennes
victimes  de  viols  ou  d’inceste  dans l’enfance. » Et puis, après un temps : «
Bien  sûr,  dans  ces  conditions,  on  peut  se demander si elles choisissent ce
métier librement ».  

Quant  aux  hommes  ?  Réponse  du  même producteur : « Les hommes ne doivent pas
être  émotifs  pendant. Il ne faut pas, par exemple, qu’ils attendent une réponse
de  leur  partenaire,  qu’ils  soient  attentifs  à leurs réactions. Alors, s’ils
sont  émotifs,  ils ne peuvent pas vraiment faire ce travail. En fait, les hommes
doivent pouvoir agir comme des machines. »  

Réponse  d’un  ancien  commissaire, qui a rencontré d’innombrables prostituées et
actrices  du  hard*  :  «  J’ai  connu des milliers de filles. En fait, j’ai plus
l’impression  d’avoir  rempli  une fonction de travailleur social. Ce ne sont pas
les  mêmes  filles  dans  le  porno  et  dans la prostitution. Mais elles ont les
mêmes origines. Presque toutes ont été abusées dans l’enfance. »  

Voilà  un  début  de  réponse sur les être humains qui travaillent dans le porno.
Que  ce  soit  en  France,  aux  Etats-Unis  ou  en  Suède,  la  constatation des
associations,  après  avoir  recueilli  de  nombreux témoignages est la même. Les
milieux    défavorisés    fournissent   un  vivier  de  pauvres  filles  pour  la
prostitution  et  la  pornographie.  Très  souvent  victimes d'inceste et violées
pendant  l’enfance.  Ou  accrochées aux drogues. Or, constatent les associations,
les  victimes  d’inceste  ou  de viols, les droguées ne sont pas prises en charge
par  la  société  pour bénéficier d’un traitement ou d’un processus d’aide. Elles
sont  alors  directement  manipulées  par  des  souteneurs  ou  des  producteurs,
parfois  dès  la  sortie  des foyers. Elles sont récupérées de façon industrielle
pour  alimenter  les  productions  bas  de  gamme  en  tout genre, jusqu’avec des
dogues,  des  ânes, des chevaux, etc. Chacun y trouverait son compte, que ce soit
les  services  sociaux  déjà  saturés et incapables de répondre à la demande, ou,
bien  sûr,  les  boîtes  de production du X tout venant, qui font leur beurre sur
ces  anciens  enfants  martyrisés,  habitués  à  la  douleur comme à la docilité.
Voilà  le  voile  que  lèvent  les associations sur ces filles. Le corps des plus
défavorisés utilement recyclés pour servir de liant social.

Ce  n’est  pas seulement un scandale mais une horreur. A grande échelle. Aux USA,
l’industrie  du  porno  dégage  4  à  6  milliards  de  dollars  par an. Plus que
l’industrie  du  film  et  du  disque  réunie.  La  diffusion  de "Playboy" et de
"Penthouse"  (24  millions  d’exemplaires)  est  deux  fois  plus  importante que
celles  de  "Newsweek"  et de "Time" réunies… Toujours aux USA, 75 % des magasins
de  vidéo  vendent  des  K7 ou DVD pornos, qui leur assurent entre 50% et 60 % du
chiffre  d’affaires.  Et  65  %  des  connexions  sur le net concernent des sites
pornographiques. Derrière les chiffres, combien de corps ? 

Backstage  :  deux  filles  interviewées  * entre deux scènes, du sperme plein le
visage.  La  première,  sourire  figé,  terrible,  regard fixe : « Je sais que je
suis  une  grosse  pute.  Mais  je ne me rappelle plus quand ça a commencé » . La
seconde  :  «  Peut-être… quand je me suis fait enculer par l’avocat de mon père.
Enfin,  je  ne  sais  plus  si c’était son avocat ou un de ses collègues. J’avais
douze  ans.  »  Tout cela dit avec l’indispensable sourire caméra et en enfonçant
un doigt manucuré dans une chatte épilée et parfaitement sèche. 

Voilà  la  situation  d’être  humains entrés volontairement dans le bagne moderne
du  sexe,  si  on  peut  considérer  comme  un acte de volonté l’impossibilité de
refuser  des  violences  nouvelles  pour  les  rescapés  de  violences anciennes.
Qu’advient-il  d’eux,  une  fois entrés ? Maladies, suicides… Comment savoir ? On
apprend  des  associations que la plupart des actrices touchant à la zoophilie se
sont  suicidées.  Enfin,  celles  dont  on  connaît  le  nom.  La  junkie édentée
ramassée  dans  la rue pour se faire mettre par un lévrier afghan, celle qui pose
pour  la  jaquette  du  dvd  bien  en  évidence  dans  le bac prés de l’entrée du
sex-shop  à  côté  de chez moi, celle-là, où est-elle aujourd’hui, que lui est-il
arrivé  depuis?  Suicide  ?  Overdose  ?  Les  culs  anonymes passent et crèvent.
Qu’importe.  Le  réservoir  à  paumés  et  à déchets sociaux est disponible, à la
merci des fantasmes érigés en loi. Ce n’est pas la matière première qui manque. 

Mais  après  tout,  comme  le  dit  un  autre producteur* : « Il n’y a pas de loi
interdisant  de  faire  de  l’argent  dans  un  système  capitaliste. Je n’ai pas
inventé le capitalisme. Je suis innocent. »  



L'écran et la réalité

Sur  l’écran,  le spectateur de porno, à quelques stars près, voit finalement des
filles  qui  se  ressemblent  toutes.  A la couleur des cheveux et la grosseur de
poitrine  près.  Difficile  après tout de faire la différence entre un anus et un
anus,  une  bouche  à  pipes  et  une  bouche  à  pipes. Pas grand chose d’humain
là-dedans,  mais  plutôt  l’excitation  au  spectacle  de  morceaux  de corps, de
viandes  avides,  gémissants  et  presque  toujours  anonymes.  C’est  d’ailleurs
justement  cet  anonymat,  cette  facilité,  ce  côté immédiat et à vif de l’acte
sexuel  qui  font  l’intérêt  de ce genre de film. Alors, où est le problème ? Au
nom  de  quelles  idées  réactionnaires condamner mon plaisir ? En quoi la vision
de  ces  scènes  peut-elle  représenter  un  danger  pour  moi,  pour  les jeunes
habitués  à  une  telle sexualité mécanisée et mercantile, etc… ? Telles sont les
questions  que  se  pose aujourd’hui le spectateur. Ces questions sont évidemment
légitimes,  et  peuvent  faire  l’objet d’innombrables débats. D’ailleurs, on les
entend  partout,  de  "Max"  à  l’"Observateur",  chez  Delarue, sur TF1… Mais le
débat  ne  peut  s'en  tenir  à  la seule logique du spectateur, des fantasmes du
spectateur.  Parce  que  la  réponse  à  la  question  «  Qu’arrive-t-il  et  que
deviennent  les  hommes  et les femmes sur le tournage d’un film pornographique »
n’est    pas    entièrement    contenue   dans  les  images  que  vous  visionnez
tranquillement  sur  votre  vidéo (même si certaines choquent par leur inhumanité
ou la souffrance visible des actrices). 

Rappelez-vous  "Gorges  Profondes",  le  film X culte des années 1970, où tout le
sexe  se  réduit  à  des pipes, queue à fond dans la gorge, ce qui ferait jouir à
coup  sûr  l’héroïne.  Pendant le tournage, Linda Marchiano, alors connue sous le
nom  de  Linda  Lovelace, était battue et menacée d’un pistolet par son compagnon
afin  de  pouvoir  accomplir  les  performances buccales qui ont fait du film une
des  œuvres  fondatrices  de  la pornographie. Pendant les mois qui ont suivi, de
nombreuses  femmes  ont  été  hospitalisées  aux  Etats-Unis,  qu’elles aient été
victimes  de  viols  ou  que  leurs  petits amis aient voulu réitérer à la maison
l’exploit que Marchiano n’avait pu signer que menacée, dans un état second. 

Tournage  X*.  Une  petite  blonde  assez mince se fait sodomiser sans ménagement
par  un  mec puis par un autre puis par un troisième. Ils font la queue sans état
d’âme,  bite  à  la  main.  Les  larmes  font  couler le maquillage. Difficile de
confondre  les  cris  avec des cris de plaisir. Entre le deuxième et le troisième
type,  qui  la  secoue  comme un sac, elle chancelle et ses yeux virent au blanc.
Plan  coupé.  Séquence  suivante,  nouvelle  enculade,  avec  en plus trois mains
plongées  dans  son  vagin, la fouillant sans ménagement. Quand son partenaire se
retire,  elle  manque  tomber. Une main la redresse par l’épaule et lui plaque le
visage  sur  une bite. Elle doit sucer, tout avaler. Interview backstage de cette
fille.  Les  larmes  ne sont pas encore entièrement séchées : - Q : Si un inconnu
vous  mettait  sa  bite dans la bouche en pleine rue, ça vous dérangerait ? - R :
Vous  croyez  que  je les connais bien, les hommes avec qui je viens de tourner ?
Je  ne  les  avais  jamais  rencontrés  avant  le  tournage.  Alors si un inconnu
jouissait  dans  ma  bouche,  non,  ça  ne me dérangerait pas. Et puis un sourire
caméra,  d’autant  plus  atroce qu’on a encore en mémoire les grimaces de douleur
de  la  scène  précédente.  Elle  ajoute : « Mais n’oubliez jamais que j’aime ça.
J’adore  le  sexe,  je  suis  une  vraie  pute et j’aime ça. » Elle aime vraiment
tomber  dans  les  pommes  enculée  par  tous  ces  mecs  ?  Ou  est-ce  la thèse
officielle  ?  Ou  pire  : finit-elle par le croire ? Et que penser de celles qui
diraient   aimer  ça  avec  des  chiens  ou  des  mulets  ?  Après  la  servitude
volontaire,  voici  la  torture  volontaire,  ultime  horreur moderne. Backstage,
encore. Une autre actrice *, le visage également baigné de sperme.  
- Q : De quoi avez vous peur ?
- R : De devenir un animal. Je ne suis plus un être humain. Je me sens comme un animal.


Même  question  posée à une autre fille *, en train de sucer un gode fluorescent.
Elle  sort  le  gode  de sa bouche, et d’un coup son regard change. Eteint. Fixe.
Perdu. 
- Q : De quoi avez vous peur ?
- R : De devenir rien. Et ensuite moins que rien.



Backstage  toujours.  Elle  a  au  plus  24  ans  *.  Elle raconte son expérience
d’ex-actrice  de  porno  et s’écroule en larmes. Elle parle de Cookie en disant «
elle  »,  comme s’il s’agissait d’un corps étranger, comme si elle ne pouvait pas
raconter  à  la  première personne. Car Cookie, c’est elle. Cookie devait tourner
une  double  pénétration.  Elle  s’est  mise à pisser le sang. Il a fallu couper.
Les  producteurs  et  les  autres  acteurs  ont  donné  des kleenex à Cookie pour
qu’elle  s’essuie,  en  la traitant de conne parce qu’elle gâchait le film. Après
cinq  minutes  de  pause,  le  tournage a repris et on lui a fait finir la scène.
Elle  est  payée  pour  ça,  n’est-ce  pas.  Elle a choisi ça. Cookie dit encore,
parlant  toujours  d’elle-même  à  la  troisième  personne  :  « Cookie avait une
hémorragie  qui  nécessitait  une  hospitalisation d’urgence. » Cookie n’est sans
doute  pas  la  seule  à  avoir été hospitalisée après un tournage. Les histoires
sortent.  Une  fille  condamnée  à  la  chaise roulante suite à un gang bang. Une
autre  passe  six  mois à l’hôpital. Comme le raconte Raffaëlla Anderson dans son
terrible  témoignage,  "Hard"  :  « Prenez une fille sans expérience […], loin de
chez  elle,  dormant  à  l’hôtel ou sur le tournage : faites lui faire une double
pénétration,  un  fist  vaginal,  agrémenté  d’un  fist anal, parfois les deux en
même  temps,  une  main  dans  le  cul,  parfois  deux.  Tu récoltes une fille en
larmes,  qui  pisse  le  sang  à  cause  des lésions, et qui généralement se chie
dessus  parce  que  personne  ne  lui  explique  qu’il faut faire un lavement. De
toute  façon,  c’est  pas  grave,  la  merde fait vendre. Après la scène qu’elles
n’ont  pas  le  droit  d’interrompre, et de toute manière personne ne les écoute,
les filles ont deux heures pour se reposer. Elles reprennent le tournage. »  


Limiter  le  débat  à  la  problématique  du plaisir du spectateur est dangereux,
parce  que  ce  qu’il  voit à l’écran n’est pas la réalité. On parle parfois avec
horreur  des  snuff  movies,  où  les  filles  seraient  torturées  à  mort. Mais
certains  films  pornographiques  se  rapprochent des snuffs movies, les tortures
sont  coupées  au montage. Les témoignages sortent des studios. Les images aussi.
Jamais  on  ne  voit un gang bang, une double, triple, multiple pénétration ou un
fist-fucking,  filmé  sans  coupe,  sans  montage. Parce qu’alors, comment ne pas
ouvrir  les  yeux, comment imaginer qu’on puisse infliger une telle violence à un
corps sans conséquences et sans séquelles ? 

Raffaëlla  :  «  Le matin, tu te lèves, tu te fourres pour la nième fois ta poire
de  lavement  dans  le cul et tu nettoies l’intérieur. Tu réitères jusqu’à ce que
ce  soit  propre.  Rien  que  ça,  ça  fait  mal. […] Après ça, j’ai besoin de me
mettre  sous  la  couette une heure pour oublier combien j’en souffre. […] Aucune
position  ne  convient. Tu tournes dans tous les sens mais y a rien qui t’apaise.
Après  quoi,  tu te retrouves sur un set et tu suces, tu cambres. On te traite de
salope […]. Rien ne vaut une telle souffrance. » 

La  pornographie  tout  sourire  n’est possible que dans un monde virtuel, où les
cris  de  souffrance sont remplacés par des gémissements de plaisir et des appels
à y aller plus fort. 



Déshumanisation

Voilà  pourquoi,  il  est  devenu non seulement stupide mais criminel de faire du
débat  sur  la pornographie un débat « d’idées », où les défenseurs de la censure
s’opposent  aux  soi-disant  libres-penseurs  sur  le  thème  « quel effet sur le
spectateur  ?  ».  Même  si  j’apprécie le travail de pionnières mené aujourd’hui
par  les  intellectuelles  américaines  sur la question de la pornographie, je ne
partage  pas  leur  opinion d’un racisme exprimé à l’encontre des hommes ou d’une
fantasmatique  macho  insupportable.  Il  est inutile, et tout aussi criminel, de
réduire  le  débat  sur  la  pornographie  à  un  antagonisme féminisme / pouvoir
masculin.  

Il    est  devenu  en  revanche  urgent  de  s’interroger  sur  le  processus  de
déshumanisation  de  milliers  d’hommes et de femmes engagés dans la pornographie
à  la  chaîne.  Les  témoignages  sur  les  coulisses  de  la  pornographie m’ont
bouleversée  et  horrifiée.  Il  y  résonne des échos familiers qu’on aurait bien
voulu  ne  plus  jamais  entendre. Relisez n’importe quel témoignage de rescapés,
consultez  n’importe  quel  document  sur  la  torture. Cela se passe, cela s’est
toujours  passé  de  la  même  manière.  En  Europe,  en Afrique, en Amérique. Le
processus  de  torture  vise à priver un être humain de sa qualité d’être humain.
La  torture  vise  à  le  réduire  à l’état d’animal, à l’anéantir jusqu’à ce que
lui-même ne se considère plus comme humain, mais comme rien, moins que rien.  

À  chaque  fois  que l’on visionne un film pornographique, il faut s’en souvenir.
Qu’advient-il  de  ces  filles  dont  la plus grande peur est d’être devenue « un
animal  »  ou  «  rien,  moins  que rien » ? Nous le savons. Certaines meurent de
cancers,  du  sida  ou  d’hémorragie. Beaucoup conservent des séquelles physiques
et  psychologiques  qui  les  poursuivent  longtemps.  Rocco  Sifredi  lui même a
reconnu  un  jour  que  certaines  «  actrices  »  du  porno  bas de gamme, ultra
majoritaire,  avaient  le  sexe  et  l’anus  détruits. L’américaine Catherine Mac
Kinnon,  qui  a  recueilli  des dizaines de témoignages, décrit une de ces femmes
de  manière  saisissante  :  « Elle n’a pas de nom. C’est une bouche, un vagin et
un  anus.  Qui  a besoin d’elle en particulier quand il y en a tant d’autres ? Si
elle  meurt,  à qui manquera-t-elle ? Qui portera son deuil ? Qui s’en inquiétera
si  elle  disparaît ? Qui est-elle ? Elle n’est personne. Littéralement, personne
» 

En  Australie,  beaucoup  d’actrices  ont  recours à des opérations chirurgicales
spécifiques.  Il  ne  s’agit  plus  maintenant de retouches « classiques » (comme
augmenter  le  volume  des  seins) mais de se faire ôter les grandes lèvres, afin
que le vagin soit plus visible à l’écran… Rien qu'un trou.



Spectateur bourreau


Il  faudrait  traiter  les rescapés de ce bagne moderne avec le même respect, les
mêmes  précautions  que  les rescapés de la torture. Après cette enquête et avoir
visionné  les  images  de  «  Shocking  Truth  »,  je sais que je ne pourrai plus
regarder   un  film  porno  comme  avant.  Je  ne  demande  pas  la  censure,  ou
l’interdiction  des  films  pornographiques. Je demande à sortir de la logique du
spectateur.  Qu’il  nous  suffise  d’écouter  notre  corps. Il n’y a pas de débat
d’idées  sur  le  porno  sans un débat de chair. Je ne demande pas l’abolition de
la    pornographie,   dont  on  retrouvait  déjà  des  traces  sur  les  fresques
pompéiennes.  
Je  demande  la  création  d’un  observatoire  destiné  à  veiller au respect des
personnes  humaines  employées  sur  les  tournages.  Suis-je « réactionnaire » ?
Sexuellement  frustrée  parce  que  je  demande  pour des êtres humains les mêmes
égards  que  pour  les  animaux  ?  Nous  nous  indignons  du  massacre des bébés
phoques,   du  gavage  des  poulets,  jusqu’aux  animaux  mal  traités  dans  les
tournages  X.  Citons pour rire, pour le fou- rire car sans folie, il faudrait en
pleurer,  cet  avis  d’un  internaute  sur  la  zoophilie  «  [même si j’adore la
sexualité  filles  /  animaux]  je  ne  peux  cependant,  en  tant que technicien
vétérinaire,  défendre  l’idée  d’une interaction sexuelle entre l’être humain et
l’animal,  parce  que  cela  ruinerait la psyché de l’animal et le ferait ensuite
agir  de  façon  intolérable  au  regard  des  règles  de politesse de la société
humaine.  De  plus,  il  serait  mal d’encourager un animal innocent à suivre les
traces du mâle humain, en quête d’un idéal inaccessible ». Froid dans le dos. 



Virtuel mortel

Imaginons  un  instant  qu’ait  lieu  une campagne d’information des spectateurs,
avec  diffusion  sur  une  chaîne  généraliste  d’un film documentaire (du type «
Shocking  truth  »)  comportant des images porno tournées « backstage » . Pour la
plus  grande  majorité,  le  passage d’une représentation virtuelle à une réalité
physique  atroce  contribuerait  à une diminution considérable, si ce n’est à une
disparition  totale  de  l’excitation provoquée par ces images. C’est à ce stade,
et  à  ce  stade  seulement,  qu’il faut réintégrer le point de vue du spectateur
pour  comprendre  les résistances que soulèvent aujourd’hui les attaques dirigées
contre  la  pornographie.  Ce  spectateur,  ces millions de spectateurs, une fois
privés  de  leur  jouissance  virtuelle,  devraient  chercher d’autres ressources
pour  leur  plaisir  onaniste.  Mais  combien  d’entre  eux  en  sont-ils  encore
capables  ?  Il  ne  faut  pas  sous-estimer  la  terreur  et  l’agressivité  que
suscitent  chez  certains  la fin du rêve pornographique, la fin de l’image de la
femme-trou,  le  désarroi que serait pour eux la perte d’un univers fantasmatique
virtuel qui est souvent leur principal accès à la jouissance. 
Comment  jouir  dans  le  monde  réel  ?  Comment jouir de chair et d’odeur et du
poids  et  de  la  présence  vivante et souffrante d’une femme ? Il est urgent de
proposer  aux  adolescents  une  autre vision du sexe et de l’amour que celle des
femmes-orifices  et  des  enculeurs-performance.  On  peut d’ailleurs se demander
quels  bons  petits  soldats dociles, quelles brutes obéissantes et conditionnées
on  cherche  à faire des hommes, pendant qu’on transforme les femmes en animaux /
objets  méprisables  et  maltraités.  Les  chefs  de guerre serbes dopaient leurs
troupes  aux  films  pornos avant de faire des descentes dans les villages ? Tout
est  fait  pour  que le spectateur onaniste reste enfermé dans l’ignorance de son
propre  corps  et  donc  forcément  aussi  dans  celle  du  corps de l’autre - en
psychopathe  qui  non  seulement ne réagit plus à la souffrance d’autrui, mais en
jouit.  La  question  du  spectateur  est  :  quelle  humanité préparons nous, et
voulons   nous  fabriquer  des  générations  d'individus  conditionnés,  dociles,
économiquement  performants,  prêts  à tolérer n’importe quelle abomination de la
part du corps social qui les entretiendra dans leur jouissance maladive? 

Amoureux  de  la  chair,  des odeurs, de la sueur, des infinis jeux du sexe, nous
ne  nous  devons  pas seulement d’informer nos semblables sur les violences de la
pornographie  industrielle.  A  nous  de témoigner de notre joie de vivre dans le
monde  réel  et de défendre avec délectation les formes infinies de la jouissance
incarnée. La joie, plus forte que le gang bang. I.S. 







Merci  de  tout  cœur  à  Malka  Malkovich  et  à  Solenne  Bardé, pour leur aide
précieuse, pour leur courage et pour leur joie de vivre. I.S. 


 
								  Isabelle  Sorent









* Tous les témoignages marqués d’une * sont filmés dans « Shocking Truth ».
**  Une  première  version  de  cet  article a été publié par le magazine "Blast"
dans son numéro 4, en septembre 2002. 


Isabelle  Sorente,  ancienne  élève  de  l'école Polytechnique, est romancière et
auteur  de  théâtre.  Elle  a  publié "Le Coeur de l'ogre" (JC Lattès, 2003), "La
Prière  de  septembre"  (JC  Lattès,  2002), "L" (JC Lattès, 2001) et "Hard Copy"
(Actes Sud, 2001).